Des moyens attribués à l’Université de Lille et des raisons d’en contester radicalement le bien-fondé

La construction de l’établissement public expérimental (EPE Université de Lille), qui a mobilisé tant d’énergies de notre part durant la deuxième moitié de la mandature qui se termine, et qui a tant divisé notre communauté, n’a en aucune manière réglé la question des moyens (en particulier en postes) attribués à notre Université.

Ce qui a créé un clivage délétère au sein de notre institution

Et pourtant, il n’était presque question que de moyens dans ce qui a motivé cette nouvelle construction institutionnelle (l’EPE), puisqu’il s’agissait essentiellement d’honorer une promesse, devenue condition nécessaire (mais non suffisante) du renouvellement de notre label I-site en 2022 (avec à la clé une dotation d’environ 15 millions € par an). Ce qui a clivé notre communauté est bien là, avec d’un côté ceux qui pensaient que ç’eût été se « tirer une balle dans le pied » de négliger cette manne (dont l’EPE constituait une condition), et de l’autre côté ceux qui pensaient que ce nouveau « machin » n’apporterait pas grand-chose sur le plan de nos missions de service public, des synergies envisageables et de la dynamique de développement de notre université… tout en ne réglant fondamentalement rien sur le plan des moyens – les 15 millions d’euros en question, ainsi que les appels à projets auxquels permet de répondre l’obtention du label I-site ne résoudront en rien la sous- dotation honteuse de notre établissement en moyens pérennes de la part de l’État. Sans compter le temps colossal passé à répondre aux demandes (dossier I-site, mise en place de l’EPE, …) et aux appels à projets, qui nous éloignent toujours un peu plus de notre cœur de métier d’enseignant et de chercheur.

Une fois l’EPE sur les rails, la question des moyens subsiste entièrement

Maintenant que l’EPE est officiellement créé et alors qu’il reste bien des questions portant sur sa mise en œuvre effective à partir de janvier 2022 (au-delà de la publication du décret actant sa naissance), subsiste incontestablement la question des moyens. Car ce n’est pas de 15 millions d’euros supplémentaires par an dont nous avons besoin, mais au bas mot de 100 à 150 millions d’euros supplémentaires, récurrents, pour recouvrer des moyens « normaux »… sans parler du désirable, ni même du soutenable. Suivant les propres chiffres du ministère (voir le graphique ci-dessous, élaboré par le contrôle de gestion de l’Université de Lille, à partir des données ministérielles), la dotation financière de l’Université de Lille (approchée par le coût complet par étudiant et par an) est de 7 778 €. Elle est très significativement inférieure à ce que perçoivent (en dotation ministérielle et en ressources propres) les universités françaises comparables à la nôtre, c’est-à-dire les 9 établissements pluridisciplinaires comprenant également la santé. Pour ce « lot témoin », le coût complet par étudiant et par an est de 9 705 €. Soit un écart d’environ 2 000 € par étudiant et par an, en défaveur de notre université.

Ce n’est pas rien, 2 000 € par étudiant et par an ! Pour s’en faire une idée, cela représente environ 150 millions € par an pour le budget de l’Établissement (l’Université de Lille compte en cette rentrée 2021 environ 74 000 étudiants). Soit encore 26 % du budget annuel de notre établissement, et 32% de la dotation annuelle de l’État. De quoi financer 1 500 postes d’enseignants-chercheurs supplémentaires ou 3 000 postes de techniciens (toujours pour donner un ordre de grandeur) ! On dit parfois que l’argent ne porte pas remède à tous les problèmes, mais il faut s’avouer qu’un grand nombre de nos problèmes pourraient trouver des solutions, s’ils n’étaient rendus insolubles, entre autres, par ce manque de moyens. Un point qui n’est pas à déconnecter des diktats insupportables du rectorat concernant les CAL, qui nous contraignent à une gestion purement comptable (et donc courtermiste) des néo-entrants. Une situation dont les conséquences sont nombreuses et délétères : déploiement d’une énergie et de moyens considérables, usure des personnels enseignants et BIATSS, taux d’abandon importants dès la L1, difficulté à accompagner les étudiants qui auraient le plus besoin de l’être, problèmes patrimoniaux parfois insolubles, …

Comment qualifier autrement que de scandaleuse la manière dont nous sommes traités par nos tutelles ?

Si les mots ont un sens, il convient de qualifier de scandaleuse la sous-dotation de l’Université de Lille. Et d’humiliante sa persistance dans le temps, tout comme (et jusqu’à un certain point) notre acceptation collective de cette situation, ou notre résignation. D’autant plus que cette sous-dotation s’accompagne d’un grignotage assez sournois, en parallèle, de nos capacités financières, dû à la non compensation par l’État du glissement vieillesse technicité (en clair : le fait que les collègues avancent dans leur carrière ou occupent des postes plus qualifiés) que nous subissons. Bon an, mal an, en effet, l’évolution de la masse salariale annuelle non compensée par l’État a été d’environ 3 millions €, et n’a fait l’objet que d’un maigre accompagnement de la « trajectoire financière », renégocié année après année (donc jamais acquis), d’un million de la part de l’État. Autrement dit, chaque année nos capacités financières s’amenuisent de 2 millions €.  Dans ce tour de passe-passe mesquin et indécent, le bonus des 15 millions € venus de l’I-site est effacé totalement au bout de 7 années. En fin de compte, ce qui nous a été versé dans notre poche droite a été pris dans notre poche gauche (nouvelle humiliation). L’ultime humiliation venant du fait qu’il nous faut sans cesse participer à des concours de beauté (appels à projets, labels, mises en concurrence, prix, etc.) pour réclamer les moyens financiers (toujours non récurrents) nécessaires pour réaliser nos missions de service public. Une particularité au sein de la fonction publique d’un ministère qui recourt aux labels et appels à projets pour financer ses propres services… Ayant perdu de vue notre misérable condition matérielle, nous continuons de pratiquer une forme de mendicité gracieuse et élégante : nous tendons la main pour 15 millions €, pendant que nos tutelles nous doivent 150 millions €.

Puis nous nous chargeons des subtils « arbitrages » qui en découlent. Un exemple récent est la mise en place d’un régime indemnitaire pour les personnels BIATSS sur besoins permanents, adopté au conseil d’administration en juin 2021. Nous ne pouvons que nous réjouir collectivement de cette mesure sociale, travaillée en amont avec des élues et élus du comité technique. Mais nous savons que le million d’euros en année pleine qu’elle représente à l’échelle de l’établissement devra être pris ailleurs, puisque l’enveloppe en moyens récurrents est constante. Toutes les mesures sociales portées politiquement et adoptées ce printemps au CA se heurtent ainsi à la même schizophrénie : si l’on améliore, on dégrade.

Au-delà de notre Université, c’est l’ensemble de la Région Hauts-de-France qui est maltraitée

Le plus étonnant est que cette relation perverse avec « nos » financeurs s’inscrit dans une tradition bien établie de sous-financement global de l’ensemble de ce qui constitue la recherche/ développement dans notre Région. Une tradition qui n’a même plus l’air d’étonner. La Région Hauts-de-France fait en effet partie du peloton de queue en ce qui concerne les « dépenses intérieures de R&D des administrations », c’est-à-dire l’ensemble des moyens consacrés à la R&D par les administrations publiques sur le territoire (quel que soit leur statut) : ces « dépenses » s’élèvent pour les Hauts-de-France à 112 € par habitant et par an (en 2018, derniers chiffres connus [1]) contre 263 € pour la moyenne nationale (139 € pour les Pays de la Loire, 182 € pour le Grand Est, 294 € pour Provence-Alpes-Côte d’Azur, 417 € pour l’Occitanie, 506 € pour l’Île-de-France). Un rapport de 2,3 avec la moyenne nationale soulève naturellement cette question : pourquoi sommes-nous à ce point inconsidérés ?

La seule attitude raisonnable à adopter

La seule attitude raisonnable au regard de cette situation devenue intolérable… est de ne plus la tolérer. C’est pour cette raison que la liste SERVIR inscrira au premier rang de son agenda politique, lors de la prochaine mandature, l’objectif de récupérer les moyens qui nous sont dus par nos tutelles. Cet enjeu doit constituer une sorte de pacte de responsabilité (ou de mandat moral impératif) entre la direction que nous souhaitons mettre en place et le futur conseil d’administration de l’Université, épaulé par toutes ses instances décisionnelles ou consultatives (conseil de la vie étudiante, conseil scientifique, conseil social d’administration institué par la loi de la transformation de la fonction publique de 2019). Ce combat sans merci pour le rattrapage à opérer au niveau de nos dotations devra être mené avec toutes les parties prenantes internes de l’Université (les directeurs de composante et d’établissement-composante, les directeurs de département, les directeurs d’unité de recherche, la communauté enseignante, les chercheurs, les personnels BIATSS, les syndicats, les représentants étudiants, etc.) ainsi qu’avec l’ensemble des acteurs du développement de notre territoire (la Région, la MEL, les organismes consulaires, les agences de développement, etc.).

Un combat sans merci signifie que, sans issue satisfaisante, le mandat confié à la nouvelle direction de l’Université pourrait être reconnu comme caduc par l’ensemble de notre communauté universitaire. Laquelle est ainsi invitée à faire œuvre commune et solidaire à travers cet engagement réciproque.


[1] Note d’information du SIES, 21-01, février 2021. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid157132/www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid157132/depenses-de-recherche-et-developpement-experimental-en-france-resultats-detailles-pour-2018-et-premieres-estimations-pour-2019.html. Calculs par habitant faits par nos soins.